Édito d'Emma Rafowicz, Présidente des Jeunes Socialistes.

Robert Badinter est mort.

Cette assommante vérité nous a heurté toutes et tous il y a maintenant quatre jours. J’ai vu à quel point cette nouvelle nous touchait au plus profond de ce que nous sommes, citoyennes et citoyens de gauche, socialistes. Beaucoup d’entre nous sont allés réécouter des interviews ou des discours, ont relu des tribunes ou des essais.

Jeunes socialistes, enfants de la République et de l’universalisme, nous savons ce que nous devons à Robert Badinter. 

Je l’avais rencontré il y a quelques mois, pour lui présenter nos projets et nos idées, et pour réclamer de lui une lucidité sur notre temps qui aurait pu, toutes et tous, nous guider intellectuellement et moralement. C’était sans doute une attente assez injuste. Il avait accepté, cependant, de me recevoir longuement et de nous adresser un message vidéo pour lancer nos travaux sur la justice au sein des Jeunes socialistes, nous n’avons pas finalement pu la tourner…

Quand je lui avais demandé ce qu’il pensait du monde, il a ri. D’un rire si fort et franc qu’il m’a surpris. C’était étonnant de voir cet homme, si emblématique d’une époque, laisser entrevoir dans la parenthèse d’un instant un naturel si déconcertant. Je n’avais jamais rencontré quelqu’un d’aussi impressionnant. Il était tellement solide.

Après avoir ri quelques secondes, il me confiait ne plus s’intéresser aux actualités qui passent. Il estimait que ne plus s’y intéresser était libérateur, tant le problème de la Politique (avec un grand P, disait-il) était de ne pas savoir s’extraire de l’actualité vulgaire pour se consacrer au temps long. “À ne plus tout suivre, on ne suit que ce qui compte vraiment.”

Nous avons parlé de beaucoup de choses, sommes revenus sur ses grands combats, en particulier celui de l’Abolition de la peine de mort, évidemment. Celui aussi, contre le négationnisme. Il m’a alertée contre la parole pour ne rien dire, pour ne rien faire. 

“Certains croient que parler, c’est agir. Je ne suis pas de ceux-là.” 

Robert Badinter est en fait trop mal connu. Il mérite pourtant qu’on le lise, qu’on le connaisse mieux, qu’on l’écoute. Sa voix doit rester. 

Avec Maylis Quivy, secrétaire nationale des JS en charge des Campus JS et de la riposte et Joachim Taieb, secrétaire national des JS en charge de la formation, nous avons donc rassemblé des ressources que vous pouvez consulter, pour les picorer ou bien vous y plonger, afin de connaître d’avantage de l’Histoire de celui dont nous sommes les aujourd’hui les fiers héritiers.

Un héritage se mérite bien plus qu’il ne se reçoit. C’est en tout cas ce que nous pensons, en tant que Jeunes socialistes. Appartenir à la même famille politique, celle des socialistes, que Robert Badinter, est une merveilleuse obligation. Une promesse d'exigence, de travail et de convictions. 

Je nous crois pleinement capables d’en être dignes. 

 

Jeunes socialistes, nous adressons nos plus sincères condoléances à la famille de Robert Badinter, à ses proches et à ses camarades.

Bonne lecture à toutes et à tous, 

Amitiés socialistes,

 

Emma Rafowicz

Présidente des Jeunes socialistes




 

Une enfance marquée par la Guerre et l’Occupation, l’antisémitisme et la déportation de son père : 

Né en 1928, Robert Badinter a grandi pendant la Seconde Guerre mondiale et l’Occupation. On ne peut comprendre les engagements de sa vie, pour la Justice et la dignité humaine, sans saisir l'importance dramatique qu’a eu cette période pour lui. Enfant d’une famille juive immigrée, son père Simon Badinter est arrêté par la Gestapo le 9 février 1943 et meurt quelques mois plus tard dans les camps d’extermination.   

Entretien de Robert Badinter sur son enfance, pour France Culture

Entretien avec Le Point sur son enfance pendant l’occupation et la Savoie où il avait alors trouvé refuge 

Retour sur France 2 en 1996 sur son expérience de la Guerre (1 min) 

 

Avocat brillant et combat contre la peine de mort : 

Après des études de droit, Robert Badinter devient avocat au barreau de Paris en 1951. Il débute alors comme collaborateur d’Henry Torrès, avocat et homme politique de gauche. 

Entretien de Robert Badinter sur sa carrière d’avocat (7 min)

Article biographique du Monde sur Henry Torres, mort en 1966  (Lecture 2 min) 

Sa carrière, et plus largement sa vie, furent marquées par deux procès, celui de Roger Bontems et celui de Patrick Henry. Roger Bontems, défendu par Robert Badinter et Philippe Lemaire, fut condamné à mort pour complicité d’assassinat par la Cour d’Assises de Troyes et guillotiné le 28 novembre 1972, alors même qu’il n’avait pas tué. Patrick Henry, lui aussi défendu par Robert Badinter à Troyes, échappe à la peine capitale, notamment grâce à la plaidoirie de son avocat, plaidoirie restée dans l’Histoire. 

Voir l’ouvrage L’Exécution de Robert Badinter, livre qui retrace l’affaire Bontems et le combat contre la mort :

Extrait : « J'ai regardé l'heure. Il était six heures passées. Hier, à la même heure, Bontems dormait sans doute. Son angoisse de la nuit était achevée. Aujourd'hui aussi. Et pour toujours. 

Bontems était mort. J'avais vu Bontems aller à sa mort. J'avais vu mourir un homme que j'avais défendu. Plus jamais je ne pourrais faire quoi que ce soit pour le défendre encore. On ne plaide pas pour un mort. L'avocat d'un mort, c'est un homme qui se souvient, voilà tout. 

La guillotine rend tout dérisoire. Il n'y a pas de révision possible, pas de grâce possible, pas de libération possible, pour le décapité. Je ne pouvais plus rien pour Bontems. C'était la vérité nue, la seule de cette nuit. »

 

Article du Monde sur le procès de Patrick Henry et la plaidoirie de Robert Badinter, publié en 1977 (Lecture 11 min)

Extrait : « Ni vengeance, ni exemplarité, que reste-t-il alors de la peine de mort ? " L'horreur. Si vous le tuez votre justice est injuste. Qu'est-ce que la justice quand la douleur des parents, quand les larmes d'une Mme Henry n'apaisent pas les larmes d'une Mme Bertrand ? La justice, elle, est la proclamation des valeurs d'une société ou elle n'est rien. Qu'est-ce donc qu'une société qui traîne la guillotine comme un bien de famille ? Qu'est-ce qui a légitimé le droit de tuer ? " »

Voir l’ouvrage L’Abolition de Robert Badinter, qui revient sur ces deux procès et sur le combat pour l'abolition de la peine de mort

 

Homme de Gauche et ami de François Mitterrand : 

Robert Badinter fut le garde des Sceaux de François Mitterrand, président de la République, mais aussi l’un de ses amis les plus proches depuis leur rencontre dans les années 1950. Robert Badinter accompagnera ainsi François Mitterrand tout au long des années 1960 et 1970, au sein de la FGDS puis du PS, jusqu’à la victoire du 10 mai 1981. 

Robert et Elisabeth Badinter ont également été les gardiens du secret de Mitterrand et d’Anne et Mazarine Pingeot, les deux familles partageant nombre de voyages, de vacances, et de moments amicaux.  

Entretien de Robert Badinter qui revient sur son amitié avec François Mitterrand pour France Culture en 2002 (épisode de 28 min)

Documentaire sur la famille cachée de François Mitterrand et Mazarine Pingeot : Une vie au Secret (101 min) 

 

Affiche de Campagne de Robert Badinter, candidat aux législatives de 1967, pour la FGDS soutenu par Mitterrand

D'autres articles :

https://www.lemonde.fr/archives/article/1967/03/07/les-candidats-de-la-ve-republique-arrivent-en-tete-dans-les-trente-et-une-circonscriptions-la-federation-de-la-gauche-realise-des-progres-tres-sensibles_2614269_1819218.html

https://www.lemonde.fr/archives/article/1967/01/31/la-convention-des-institutions-republicaines-a-elu-ses-instances-dirigeantes_2608573_1819218.html

 

« Je n’ai pas été nommé ministre, j’ai été nommé ministre de la Justice »

Robert Badinter devient ministre de la Justice, garde des Sceaux, en juin 1981 sous la présidence de François Mitterrand. 

Il portera et fera adopté par l’Assemblée nationale le 28 septembre 1981 l’abolition de la peine de mort en France. Son action en tant que garde des Sceaux, dans un combat sans relâche pour la Justice et la Liberté a marqué l’Histoire : dépénalisation de l’homosexualité, suppression des tribunaux d’exception, accès des justiciables français à la Cour européenne des droits de l’Homme.

Ministre, Robert Badinter fera face à nouveau à l’antismétisme et à la violence des attaques, notamment lors du rassemblement des policiers place Vendôme en juin 1983. Il se retrouvera également face à son histoire lors de l'extradition vers la France de Klaus Barbie, responsable de la Gestapo à Lyon et des rafles de 1943. Robert Badinter, fidèle à ses convictions profondes, garantissant la tenue du procès dans le respect de l’Etat de droit. 

 

Discours de Robert Badinter à l’Assemblée nationale

 

Voir : La Parole est au garde des sceaux - Série documentaire de Joseph Beauregard réalisée en 2016 

 

Voir : Ministre ou Rien - Série documentaire de Jean-Michel Djian réalisée en 2014 (70 min)

 

Livre : Les Épines et les Roses, de Robert Badinter : le livre retrace son expérience et son engagement en tant que Garde des Sceaux



Président du Conseil Constitutionnel : 

Sous la présidence de Robert Badinter de 1986 à 1995, le Conseil Constitutionnel s’affirme comme la juridiction des droits fondamentaux qui sont pour Badinter « l’âme vivante de la République » (4 mars 1986). 

Plusieurs décisions importantes témoignent de cette affirmation : droits des étrangers en situation régulière (22 janvier 1990), valeur constitutionnelle du droit au respect de la personne humaine (27 juillet 1994) ou encore atteinte justifiée au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre au nom du principe de protection de la santé publique (8 janvier 1991). 

Cette mue juridictionnelle n’est pas sans résistances et le Conseil subit la violence des attaques de Charles Pasqua et Edouard Balladur lorsqu’il censure la loi de 1993 au regard des atteintes portées au droit d’asile. Robert Badinter sort alors de sa réserve pour mieux affirmer le rôle de contre-pouvoir du juge constitutionnel : « Dans tout Etat démocratique, rien ne peut empêcher que le juge soit source de droit et le citoyen a lieu de s’en féliciter (…) En vérité, l’impatience qui saisit toute majorité face au juge constitutionnel est celle de tout pouvoir face à un contre-pouvoir. » (Le Monde, 1993)

A bien des égards, Robert Badinter a eu également raison trop tôt. Nombre de ses propositions de réformes ont été refusées avant qu’on les retrouve après sa présidence : oralité des procédures, principe du contradictoire, question prioritaire de constitutionnalité.

Tribune de Dominique Rousseau 

Article du Monde de 1993 sur le rôle du Conseil constitutionnel  

 

Ouvrages et films généraux : 

 


 

Notre vidéo hommage :